Quitte ton pays et va vers le pays que je te montrerai.


Homélie du frère Nicolas Burle, 2e dimanche de Carême, 12 mars 2017
 

Frères et sœurs,

Qu’est-ce que la foi ? On dit d’Abraham qu’il est le premier croyant, le père de tous les croyants. Alors que nous dit-il de la foi dans cet épisode fondateur, lorsqu’il quitte son pays sur l’ordre du Seigneur ?

La foi, c’est croire à une promesse qui m’est faite. C’est-à-dire que ma foi ne vient pas de moi : quelqu’un d’autre s’est révélé à moi, quelqu’un d’autre m’a adressé une parole, quelqu’un d’autre m’a fait cette même promesse qu’à Abraham : « Quitte ton pays et va vers le pays que je te montrerai. » Une promesse, c’est-à-dire quelque chose que je ne vois pas encore : quelque chose de réel certes – un pays – mais encore invisible – puisqu’il me sera montré plus tard. Est-ce si difficile de croire à une réalité invisible ? Regardez un homme et une femme qui s’aiment : on sait que l’amour est présent, que l’amour existe et pourtant on ne le voit pas. Ce n’est donc pas parce que quelque chose est invisible que cela n’existe pas.

« Quitte ton pays et va vers le pays que je te montrerai »

Dans la foi, Dieu nous rend visible ce qui était invisible : il existe un pays où nous sommes attendus par Dieu. Car on ne se quitte que pour quelque chose de mieux ! Pour nous, le Christ a vaincu définitivement la mort et il nous a préparé une place au-delà de notre mort. Le jour de la Transfiguration, il nous a montré l’horizon : au-delà de notre mort, nous le verrons dans sa gloire, face à face. Notre vie a un sens, nous allons vers le Ciel promis et révélé par notre Dieu dans la Bible.

Dans la foi, Dieu rend aussi visible ce qui est visible mais que pourtant personne n’avait vu. Qu’est-ce que je n’avais pas vu ? La profondeur de ce qui m’entoure. Le visage de chaque personne. Je crois voir cette personne. Je crois savoir qui est cette personne. Mais en fait cette personne, toute personne, est un mystère qui me dépasse. La foi est un mystère, comme une personne est un mystère : je n’en ferai jamais le tour, je ne la connaîtrai jamais par coeur. Je n’aurai jamais fini de voir, de comprendre et de connaître. Je croyais avoir tout vu mais je n’avais pas encore vu grand-chose.

« Quitte ton pays et va vers le pays que je te montrerai. »

En écoutant la Parole de Dieu, ce qui me dérange au sujet de Dieu est aussi précieux, important, que ce qui m’arrange car Dieu est plus grand que toutes les idées que je me fais sur lui. De même, toute personne est plus grande que ce que je crois savoir d’elle, que ce qui m’apparaît au premier abord. Elle resplendit d’une lumière plus profonde qui la transfigure. Au sujet des personnes comme au sujet de la foi, comment pourrais-je oser avoir une parole définitive ?

La foi, c’est croire que ce Dieu qui s’est révélé aux hommes m’a fait une promesse.

La foi, c’est croire qu’il nous reste encore beaucoup de choses à voir et à recevoir.

Désirons-nous voir Dieu ? Pour cela, il faut une conversion profonde de notre regard et de toute notre vie.

« Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu. » Bernanos, dans le journal d’un curé de campagne, a eu cette intuition profonde : la pureté est une des conditions mystérieuses mais évidentes de cette connaissance surnaturelle de soi-même, de soi-même en Dieu, qui s’appelle la foi. Le péché ne détruit pas cette connaissance, il en anéantit le besoin. On ne croit plus, parce qu’on ne désire plus croire. Vous ne désirez plus vous connaître. Cette vérité profonde, la vôtre, ne vous intéresse plus. Vous ne vous désirez plus. Vous ne désirez plus votre joie. Vous ne pouviez vous aimer qu’en Dieu, vous ne vous aimez plus. » Désirons-nous durant ce carême, dans la confession, laver nos yeux de ce qui nous empêche de voir ? Laver de nos âmes de ce qui nous empêche d’aimer ?

La foi est un don de Dieu qu’il me faut mendier chaque jour. « Seigneur, je crois, viens au secours de mon manque de foi ! ». Ou la prière humble de Charles de Foucauld avant sa conversion : « Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous connaisse. » Il nous faut mendier la foi car Dieu se révèle à nous dans la mesure où nous désirons le recevoir.

Cependant la foi paraît souvent obscure. Le silence de Dieu semble si souvent total. La Transfiguration nous réconforte en nous montrant comment Dieu a choisi de se révéler dans la Bible et dans nos vies. Soit Dieu nous révèle le signe sa présence mais alors nous n’entendons rien. Ainsi les apôtres voient Jésus transfiguré mais n’entendent rien de la discussion avec Moïse et Elie. Soit nous ne voyons plus rien mais nous entendons alors sa Parole. « Une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Avez-vous remarqué qu’il en est ainsi d’une certaine manière à la messe ? Nous entendons la Parole que le Christ a prononcé « Ceci est mon corps » puis nous contemplons son corps dans un grand silence. Ici-bas, nous ne pouvons pas à la fois voir Dieu et l’entendre. Ce n’est qu’au Ciel que nous le verrons face à face et que nous serons comblés de sa Parole car Dieu sera tout en tous.

En attendant, la foi est une lampe dans la nuit qui me donne le courage d’avancer jusqu’au jour où il n’y aura plus de nuit. La foi est une voix qui m’appelle à travers le silence. Que me dit-elle cette voix ?

« Tu es mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. » « Quitte ton pays et va vers le pays que je te montrerai. »