Tu aimeras !


Homélie du dimanche 29 octobre, par frère Jean-Charles Rigot
30ème dimanche du Temps Ordinaire – Lectures de la messe
613 ! Selon la tradition juive, la Torah comporte 613 préceptes. 365 d’entre eux seraient exprimés selon une forme négative : « Tu ne feras pas » et 248 selon une forme positive : « Tu feras ». Et comme nous avons là deux nouveaux chiffres, nous pouvons toujours tenter de les rapprocher d’autre chose, tenter de les interpréter. 365 nous évoque tout de suite le nombre de jours d’une année solaire. Je n’ai pas vraiment besoin de détailler. 248, lui, est considéré comme étant le nombre d’os du corps humain. Je n’ai jamais tellement compris d’où venait ce chiffre, mais peu importe, à vrai dire.
Dans le fond, ce qui compte dans cette interprétation, c’est de dire que cette Torah, cette loi de Dieu, concerne et tout l’homme (avec ses 248 os) et tout le temps (avec ses 365 jours). Bref, rien n’est sensé échapper à la loi, rien n’est sensé échapper à Dieu. Non pas qu’il exerce un pouvoir despotique sur le moindre détail de nos existences, mais plutôt que tout le concerne, tout le touche.
Cependant, malgré cette interprétation intéressante, 613 commandements à appliquer restent tout de même un nombre. Et ce d’autant plus que certains peuvent nous paraître obscurs. Deux attitudes se mettent alors en place : mettre en place une haie pour la Torah, c’est à dire élargir le domaine des commandements pour s’assurer qu’on n’en viendra pas à négliger l’un d’entre eux. Autre attitude, celle qui cherche à résumer en une liste plus brève ce qui fait le cœur de la Torah. David s’y est essayé avec une liste de 11 commandements, Isaïe en avait 6, Michée 3 et d’autres encore.
Et c’est dans cette longue tradition que les pharisiens, une fois de plus, vont tenter de piéger Jésus. Nous connaissons sa réponse, sans doute trop bien. « Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Réponse embarrassante, s’il en est pour ses adversaires. Ils cherchent à s’assurer que Jésus respecte suffisamment le Dieu d’Israël, et lui va leur répliquer que eux, par contre, manquent de respect, de charité à son égard. Et qu’en plus, cela revient au même que d’en manquer à Dieu. La grande finesse de Jésus dans cette situation a même été de citer deux versets de l’Écriture, pour interdire toute remise en cause.
Notons tout d’abord qu’il est dit : « Tu aimeras » et non « Aime ». Il n’est pas question ici d’un ordre qui ne concerne que notre actualité. Bien au contraire, c’est chacun des jours de notre vie, le présent sans doute, ceux à venir plus encore, qui est concerné. Tu aimeras sans te lasser, jour après jour sur ce chemin qui petit à petit te conduira à rencontrer Dieu.
Et tu aimeras ton Dieu dans toute la radicalité dont l’amour est capable. Il n’est rien de ce que tu es qui n’es concerné par cet amour. Tout ton cœur , toute ton âme, tout ton esprit. Rien de cela n’est étranger à Dieu, rien n’est un empêchement sur le chemin qui mène à sa rencontre. Et pour s’assurer de ne pas se tromper en route, le deuxième commandement est comme une bouée cardinale qui nous permet de voir où nous en sommes. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il faut être capable de s’aimer, de s’estimer soi-même pour aimer l’autre, être capable d’aimer l’autre pour aimer Dieu.
Jésus en donnant ce commandement cite ce verset du lévitique. Je vous le relis avec son contexte : « Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Vous l’aurez cependant noté, celui que cite Jésus est tronqué. Il n’est plus question de peuple. Nuance subtile en apparence, mais essentielle. Nous n’aimons plus le prochain parce qu’il est membre de la même famille que moi, membre du même peuple, mais désormais, c’est parce qu’il est aimé de Dieu, parce que c’est par lui que j’aime Dieu que Dieu nous commande de l’aimer.
Le pauvre, l’étranger deviennent alors visage de Dieu dans nos vies. J’avais faim et vous m’avez donné à manger, nous dit le Seigneur. Heureux les invités au repas du Seigneur, venez, il se donne en nourriture.