Homélie de la Vigile pascale 2020

par le frère Benoit-Marie FLORANT, prieur

Pourquoi n’y a-t-il que femmes au tombeau de si grand matin ? Pourquoi les hommes sont-ils confiné ailleurs ? Pourquoi cette lenteur de à prendre la mesure de la situation ?

Alors que notre liturgie fait déjà jaillir la joie de Pâques telle un feu nouveau, une source jaillissante, l’évangile nous amène plus discrètement sur le seuil de cette immense nouvelle.

Chers frères, la joie de la résurrection surgit du travail du deuil de ces femmes, le soin des corps, que le rite aide à traverser : revoir le corps, le parfumer, se réunir pour ne pas être seul devant le manque. Un peu ce qui manque en notre situation de confinement à toutes les familles et les amis en deuil. C’était même une nécessité. La résurrection apparaît à ceux qui ont traversé l’épreuve de la mort de Jésus. Elle se manifeste à ceux qui ont été bouleversés par sa disparition, quelle qu’ait été leur réaction, de lâcheté, de peur, d’abandon ou de doute.

Pas de résurrection sans ce passage salutaire, désarmant de la croix, parce que la mort du Christ doit emporter avec elle les illusions. Il faut ce temps pour renverser les rêves de soulèvement, de révolution religieuse.

Ce travail de deuil de ces femmes au tombeau, de ces hommes réunis à l’écart est la condition de compréhension de cette résurrection à peine espérée. Il en va de même pour nous ce soir. Pour fêter Pâques, nous avons été conduits ces derniers jours à traverser plusieurs fois le récit de la mort du Christ. Pas de résurrection sans la mort effective, sans arrachement à celui qu’on aime pour soi.

C’est ce travail-là qui prépare nos cœurs à recevoir l’immense nouvelle que Jésus est vivant, vivant d’une autre manière, mais vivant, maintenant, pour nous, et nous entraîne dans la vraie vie.

C’est au cœur de nos peines, au cœur de nos doutes et de notre incrédulité, au cœur des malheurs qui nous tombent dessus, de notre épidémie, qui si elle est planétaire, reste sans comme mesure avec d’autres traversée par l ‘humanité, que nous sommes rejoints par cette nouvelle inouïe : le Christ vivant nous attend. Il nous précède. Il y a donc une porte qui s’ouvre devant nous.

Pâques n’est pas la fête des gens déjà heureux. Elle est la fête de la joie qui vient éclairer nos deuils, nos enfermements, apporter la lumière jusque dans nos lieux les plus sombres.

Un peu comme nos vitraux, la joie de Pâques, ce n’est pas d’abord l’éclat des couleurs qui précède la lumière, mais la transformation de l’opaque en rayonnement. Regardez, ou plutôt écouter avec les yeux de votre mémoire la description de ce messager de la nouvelle de Pâques. Il est éblouissant. Qu’est-ce que cet éclat sinon la saturation d’une lumière qui rayonne au point d’éclairer par l’intérieur tout ce qui était sombre ?

Sa lumière se projette sur les femmes par le prisme de leur mémoire. Entrer dans le mouvement de Pâques, c’est relire la Parole de Dieu, c’est se remémorer les mots mêmes de Jésus à la lumière de cet événement qui bouscule les certitudes. Elles se sont remémoré les paroles du Christ, avec évidence nouvelle : le Christ est vivant. Symboliquement, c’est justement le parcours que nous avons suivis ensemble : nous avons allumé le cierge pascal, et nous avons scruté l’Écriture à sa lumière. Nous y avons alors repéré tout ce qui y a été disposé. Le récit prend alors un sens plénier, radicalement nouveau, quand c’est la lumière du ressuscité qui l’éclaire.

L’expérience de la vie du Christ dans notre quotidien passe par le même regard. Nous pourrions passer à côté de la présence du ressuscité, ne pas le reconnaître si nous ne le laissons pas interpréter avec nous les abaissements et les relèvements que nous expérimentons. Tenir les cierges comme nous l’avons fait, c’est apporter la lumière de cette vie nouvelle au plus près de chacun de nous. Se laisser éclairer par cette clarté, à la lueur ou à l’éclat de laquelle nous comprenons notre vie chrétienne. Et là, nous pouvons voir la vie à l’œuvre, la vie plus intense qui nous met ou nous tient debout, qui nous fait déjà participer à la résurrection.

Chers frères, le Christ est ressuscité même si traversons un épisode dramatique. Le Christ est ressuscité, même si la lumière ne semble pas toujours percer, le Christ est ressuscité et cela nous dépasse et ne se compte pas. Nous pouvons le faire savoir, car lorsque l’éclat jaillit quelque part, c’est toute obscurité qui s’éclaire.